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Au premier semestre de 2015, le taux de chômage des jeunes atteint des sommets vertigineux de 24%[1]. Des études désarmantes révèlent que trois ans après l’obtention d’un diplôme universitaire, 4 jeunes sur 10 peinent à trouver un emploi[2]. Les turbulences occasionnées l’an dernier par la publication de livres tels que ceux de Zemmour ou Houellebecq révèlent la stérilité assourdissante d’un débat médiatique – voir même public ? - qui étouffe les quelques voix rendue aphones cherchant à aborder les questions d’unité et d’identité de manière constructive. Au sein de la cacophonie, la réforme éducative perturbe, trouble, sans réellement rien dérégler, à l’image de ces doubles décimètres en bois ou en plastique coloré, si symboliques à la fois d’un folklore qui inspire la nostalgie, mais aussi de la rigidité d’un système éducatif national qui manque de prendre son envol et de se faire porter par les courants tourbillonnant de la mondialisation.

 

L’idée n’est pas de faire du monde actuel une réécriture fataliste d’Une descente dans le maelstrom d’Edgar Allan Poe. Au contraire, nous nous situons plutôt du côté du protagoniste de la nouvelle, qui, à l’opposé de son frère qui se laisse engouffrer par l’irrationalité de la terreur et donc des flots, survit à cette tempête grâce au secours du bon sens et de la raison.

 

Si les problèmes des jeunes français restent sans réponse c’est que nombre d’entre nous considérons, à tort, que nous vivons dans un jeu à somme nulle : si l’Autre obtient un emploi, alors il diminue mes chances d’être embauché, si l’Autre exprime ses croyances, il menace les miennes. Schématisations mises à part, à ce train de pensée qui n’est pas si peu commun, il est possible d’opposer le raisonnement suivant, dont la simplicité fait la force: plutôt que de se tailler des parts de plus en plus petites du gâteau, pourquoi ne pas simplement préparer un plus gros gâteau ? 

 

L’éducation bilingue est la levure de cette recette.

  

Les forces dont l’éducation bilingue est porteuse ciblent précisément les frustrations nourries par le système éducatif national, et offre des solutions aux questions de chômage, d’intolérance et de racisme. Suivent quelques unes de ces qualités, parmi toute une volée:

-   Avantage scolaire. L’éducation bilingue favorise la réussite à l’école: les étudiants possédant deux langues, qu’elles soient maternelles ou acquises, obtiennent de meilleurs résultats aux examens standardisés que les étudiants monolingues. De plus, le taux de décrochage scolaire est plus réduit dans les programmes bilingues que dans les cursus monolingues.

-   Avantage social. L’éducation bilingue favorise la diminution des écarts entre classes sociales : un enfant issu d’un milieu défavorisé ayant reçu une éducation bilingue peut rattraper l’écart imposé par la société par rapport à un enfant qui aurait reçu le soutien d’un milieu plus favorisé. 

- Avantage académique et professionnel. L’éducation bilingue favorise les opportunités éducatives et professionnelles à l’international. Dans un marché du travail toujours plus compétitif et mondialisé, le fait d’être bilingue permet non seulement d’avoir accès à un marché de l’emploi bien plus large que l’offre nationale, mais aussi d’être récompensé de salaires plus importants.

- Avantage cognitif. Les élèves qui suivent des programmes d’immersion bilingue développent des capacités cognitives accrues : ils font preuve d’une meilleure capacité de concentration et d’attention, d’une meilleure mémoire, et de meilleures capacités de prise de décision et de résolution de problèmes. De plus, l’accès à une troisième ou une quatrième langue est facilité.

- Tolérance et confiance en soi. Une étude récente menée à l’Université Concordia à Montréal démontre que les enfants bilingues seraient plus tolérants : parce qu’ils comprennent que c’est l’acquis et non pas seulement l’inné qui fait la personnalité d’un individu, ils sont plus enclins à accepter la diversité que des enfants monolingues. La question de l’intégration emboitant le pas à celle de la tolérance, d’autres initiatives pédagogiques suggèrent que les enfants possédant une langue considérée minoritaire dans leur pays – dite « langue d’héritage » - gagnent considérablement en confiance lorsque cette langue fait partie intégrante de leur éducation. Cette unicité peut non seulement servir de faire valoir dans la vie personnelle et professionnelle de l’enfant, mais le fait de partager sa culture avec ses camarades de classe laisse présager de l’étendue de l’impact d’une éducation qui intègre le multilinguisme. 

 

Reste à savoir comment naviguer les courants qui mèneront à ces résultats, qui font généralement l’unanimité. Pour ce faire, prenons les cas de deux grandes métropoles à la fois capitales cosmopolites, culturelles et économiques : Paris et New York. C’est par des maillages locaux, tissés à l’initiative d’acteurs de la société civile avec des institutions publiques, que certains des projets d’éducation bilingue les plus actifs ont vu le jour. En 2007, une poignée de parents d’élèves francophones a lancé la French Bilingual Revolution à New York, dans l’espoir de transmettre le français à leurs enfants. Les Services Culturels de l’Ambassade de France à New York ont rapidement offert leur soutien. Du Bronx à Brooklyn en passant par le Queens, ce sont maintenant 1300 élèves qui suivent ces programmes d’immersion duelle où les cours se répartissent de moitié dans chaque langue. Mais surtout, chaque classe présente un équilibre entre enfants à dominante francophone et enfants à dominante anglophone. La réussite du projet a suscité l’intérêt des hispanophones de la métropole, démontrant le potentiel du modèle de s’étendre à toutes les langues présentes dans le paysage new-yorkais. Et jusqu’à Paris. De fait, le mouvement de la French Bilingual Revolution a inspiré la création des classes Duo, échange virtuel en classe primaire, et des classes Declic, dédiées à l’éveil aux langues, à l’initiative de la Mairie de Paris. Celle-ci a aussi emboité le pas sur des offres linguistiques jusqu’alors limitées à l’extra-scolaire et au monde associatif : des associations citoyennes telles que D’une Langue à L’autre (Dulala) rentrent dans le temps périscolaire en proposant des ateliers linguistiques. Le CAFE Bilingue, héraut parisien des « langues d’héritage », s’installe aussi dans les écoles en faisait de sa Semaine des Langues l’occasion pour les maîtres et maîtresses d’inviter parents d’élèves et élèves multilingues, ou allophones, à venir raconter une histoire ou présenter au reste de la classe une chanson dans une langue autre que le français.  C’est enfin l’occasion d’intégrer les élèves des classes CLIN (Classes d’Initiation pour Non-francophones, rebaptisées Unités Pédagogiques pour Elèves Allophones Arrivants, en 2013), encore assez mal connues du grand public, aux classes de cursus classique pour y partager et faire valoir leur langue et leur culture. Dans tous ces exemples, l’efficacité réside dans l’alliance entre la connaissance du terrain et la proximité avec les citoyens et les locuteurs de langues diverses portée par les acteurs de la société civile, et les ressources et infrastructures que possèdent les institutions publiques. Hors du cadre strictement métropolitain, le cas des langues régionales françaises, dont l’enseignement est assuré par la loi dans certains lieux, témoigne de la possibilité d’intégrer totalement l’enseignement bilingue à l’Education Nationale française.

 

Face aux idées reçues qui veulent que les français sont mauvais en langues et que la France est un pays essentiellement monolingue, François Grosjean - linguiste renommé et auteur du livre Parler plusieurs langues : le monde des bilingues (2015) - rétorque que si vous vivez en France, vous avez une chance sur cinq d’être bilingue[3]. De fait, il révèle que la France compte plus de 400 langues et dialectes sur son territoire[4], tandis que « 21% des personnes disent qu’il leur arrive de discuter avec des proches dans d’autres langues que le français ; 15% mentionnent une langue issue de l’immigration ou une langue étrangère (arabe, occitan, espagnol, portugais…), 6% une langue régionale (alsacien, occitan, corse, breton…) » (Grosjean 8). Plus récemment, une enquête de la Commission européenne datant de 2012 réaffirme les mêmes résultats[5].  Face à ce foisonnement linguistique, les initiatives citoyennes locales prennent tous leur sens, et l’appui des institutions est parfaitement légitimé. Surtout, il s’agit de mettre en évidence que nous avons là, sous nos yeux, une manne qui manque d’être mise en valeur. Les fruits du bilinguisme sont là, bourgeonnant, prêts à être cultivés et cueillis.  Mais peut-être faut-il en effet un vent de turbulences pour secouer cette vision trop champêtre et faire enfin répandre la semence de l’arbre. Rien n’est moins simple que d’appréhender cette diversité fourmillante des langues, et pourtant, ne pas s’y atteler reviendrait à lutter contre le courant sans tenter de le comprendre – stratégie dont l’inefficacité est traduite en littérature par notre écrivain américain Edgar Allan Poe, lorsque l’un de ses personnages est englouti avec effroi par le maelstrom, épuisé à force de se débattre. De fait, non seulement le héros de la nouvelle de Poe survit au puissant tourbillon, mais dans l’œil de la tempête, il fait l’expérience d’une épiphanie qui lui révèle la force sublime du monde chaotique qui l’entoure. In fine, c’est cette reconnaissance d’une diversité hétéroclite qui signe son salut.



[3] Selon la définition du bilinguisme de F. Grosjean : « [L]e bilinguisme est l’utilisation régulière de deux ou plusieurs langues ou dialectes dans la vie de tous les jours. » Il poursuit en précisant : « Cette définition, nettement moins restrictive, englobe des bilingues très différents les uns des autres : les personnes qui parlent deux langues avec un niveau de compétence différent dans chacune d’elles, celle qui ne savent ni lire ni écrire l’une ou l’autre langue, celles qui ont une compétence de l’oral dans une langue et une compétence de l’écrit dans une autre, mais aussi, bien entendu, celles qui possèdent une très bonne maîtrise de deux (ou de plusieurs) langues » (Grosjean 8)

[4] Selon les résultats de l’enquête de 1999 de l’INSEE « Etude de l’histoire familiale » rapporté par Grosjean dans son livre et qui comporte un volet consacré à la transmission familiale des langues et des parlers (16).

[5] « Dans l’enquête de la Commission européenne de 2012, à la question posée pour chaque langue connue en plus de la langue maternelle, ‘à quelle fréquence utilisez-vos votre (langue en question) ?’, 19% des répondants en France ont donné la réponse ‘tous les jours/presque tous les jours’, un pourcentage fort similaire à celui de l’enquête de l’Insee de 1999 » (Grosjean 16).

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