ET SI ON REECRIVAIT L'HISTOIRE?

 

 

 

ET, SI ON RÉÉCRIVAIT L’HISTOIRE?

 

 

L’Histoire se définit : «  la relation des faits, des évènements passés concernant la vie de l’humanité, d’une société, d’une personne, etc » (Le Petit Larousse Compact 2000)

 

Elle représente une discipline strictement régie par des normes, telles que celles qui relèvent des Sciences Humaines et Sociales, et qui la maintiennent dans un cadre d’analyse rigoureuse. L’objectivité est par conséquent, l’une des exigences premières auxquelles est soumis l’historien.

 

La République d’Haïti, comme tout autre pays du monde a son histoire nationale qui « relate, en référence à : Le Petit Larousse Compact 2000, la relation des faits, des évènements passés concernant la vie  complexe de son peuple, de ses origines à nos jours. Toutefois, certains faits de comportements d’un peuple peuvent exprimer un véritable rejet d’une ou plusieurs périodes, d’un ou plusieurs évènements de son histoire. Dans ce cas, on en vient à penser à une toute autre réalité historique, comme si on aurait pu réécrire l’Histoire du monde, celle des peuples, en en éliminant tout ce qui pourrait déplaire, tout ce qui ne ferait pas honneur à leur auteur, tout ce qui témoignerait des démesures auxquelles peuvent s’être abandonnés les humains à une certaine époque de leur vie.. Mais, peut-on réécrire l’Histoire.

 

Si on réécrivait l’Histoire, l’histoire d’Haïti, elle-même, serait différente aujourd’hui.  Haïti n’aurait sans doute pas existé, puisque l’homme averti en valant deux, les peuples amérindiens n’auraient sans doute pas accordé leur confiance aux Espagnols, qui, eux, n’auraient pas, autant, eu la partie belle dans ces supposées Indes Occidentales dont ils se sont appropriées sans résistance aucune, de la part des autochtones…

 

 Si on réécrivait l’Histoire, boucaniers et flibustiers n’auraient peut-être pas foulé le sol d’Hispaniola ; les Anglais seraient, qui sait, restés chez eux, et il se pourrait qu’il n’y eût pas de Traité de Ryswick accordant « légalement »  à la France le tiers occidental de cette ’île conquise par Christophe Colomb et son équipage espagnol.

 

 Si on pouvait réécrire l’Histoire, le continent africain, fort de l’expérience de la colonisation occidentale, n’aurait sans doute pas eu plus d’importance qu’un autre dans l’édification des structures socioéconomiques et politiques de pays tels que la France, l’Angleterre et les U.S.A. L’Afrique saurait probablement protéger ses fils de l’esclavage, en les gardant en son sein…

 

 Si on pouvait réécrire l’Histoire Bartolomé de Las Casas pourrait n’avoir pas cultivé cette affection fanatique pour les Indiens, au point de s’inscrire dans les archives de l’époque comme l’initiateur de la traite négrière à Hispaniola… On n’aurait peut-être pas connu des hommes comme: Toussaint, Dessalines, Christophe, Pétion, Rigaud ; des femmes , comme Catherine Flon, Défilé la Folle, et tant d’autres noms célèbres de l’histoire de la colonie de St.Domingue devenue République d’Haïti… Et si…, si…Mais dommage pour ceux qui l’auraient ainsi souhaité aujourd’hui, car, l’Histoire, n’est-elle pas ce qu’en ont fait, ce qu’en font et en feront, tous les humains qui vivent d’une époque à une autre. En effet, le passé reste bien ce qu’il fut. C’est une évidence qui ne change sous aucun ciel.

 

Pour cause, à partir de 1492, l’Île d’Haïti, a été :

-         envahie par les conquérants espagnols 

-         occupée, tour à tour, par les Espagnols, les Français et les Anglais.

 

     -  En 1697, le Traité de Ryswick céda la partie occidentale de l’Île aux Français, qui : la colonisèrent sous la protection de la loi, l’institutionnalisèrent par la création du Code Noir, y renforcèrent leur autorité en systématisant le Mercantilisme, et finalement, soumirent la population nègre_ importée d’Afrique depuis 1510_ au joug de l’esclavage, et l’affublèrent du statut de « biens meubles, dépourvue d’état civil ».

 

  Ainsi, débuta une ère de cohabitation singulière du nègre esclave, avec son colon blanc, sur cette partie occidentale de l’île d’Haïti, qui fut alors baptisée Colonie de Saint-Domingue, par la Métropole française.

   C’est, de ces rapports abusifs et promiscuitaires du colon et de son esclave, que naîtra, plus tard, le mulâtre, l’affranchi de naissance. De même, c’est, du français parlé par le colon, et du créole en germe, parlé par les nègres expatriés, que passait la communication entre le maître et la négresse, son esclave,  sur laquelle il exerçait un droit absolu, entre autre celui de cuissage.

   À cette époque,  la langue française, celle des colons leur était normalement réservée, alors qu’une seconde langue émergeant, à la fois, de tous les dialectes dans lesquels s’exprimaient ces esclaves _venus des différents coins de l’Afrique_ et du contact de l’esclave avec la langue du maître, . Cette langue désignée créole comme l’avait été l’esclave né sur le sol de St.Domingue, représentait le canal par lequel communiquaient les esclaves entre eux. C’était aussi la langue que la grande majorité utilisait pour s’adresser au maître, qui s’il ne la parlait pas, ce n’était pas faute de pouvoir l’apprendre, puisqu’il parvenait fort bien à la comprendre.

 

   Pourtant, une minorité d’esclaves savaient lire, écrire, et s’exprimaient  plus ou moins dans les deux langues à la fois. Il leur fallait, toutefois, dissimuler leurs atouts, et les exploiter bien à l’insu du colon, qui ne concevait pas toujours, qu’ils pussent posséder ne seraient-ce que les rudiments de l’instruction,  eux aussi.

 

  De même que le maître dans sa relation ambiguë à l’esclave, ces deux langues avaient appris à se côtoyer, et à se confondre sous la peau du fils mulâtre de l’esclave et du maître, sur la terre de Saint-Domingue.

 

  Survient alors l’affranchissement général des esclaves, et l’indépendance de la terre de Saint- Domingue, en 1804. Les Français sont ou tués, ou chassés et pourchassés, par les anciens esclaves et les affranchis…La République libre d’Haïti voit le jour en se substituant à la Colonie de Saint-Domingue, et abrite en son sein une population métisse libre, formée de noirs en majorité, et des mulâtres, qui, tous, indistinctement parlent créole.

  

Ce nouveau peuple libre compte plus précisément, une minorité constituée d’anciens affranchis noirs et mulâtres, et aussi d’anciens esclaves noirs qui parlent et écrivent le français à des degrés divers. Cette dernière langue est particulièrement parlée par d’anciens affranchis mulâtres, qui ont pu bénéficier d’études en France par les soins de leur père colon, et d’anciens esclaves privilégiés, qui ont, d’une façon ou d’une autre, joui, à leur tour, du privilège de l’instruction. Pour preuve, l’Acte d’indépendance est dès le départ rédigé en français.

 

  Bien plus tard, en 1860, le Concordat signé avec le Saint-Siège, reconnaît au français le statut de langue officielle du pays. Par ailleurs, l’implantation d’écoles congréganistes privées et/ou publiques, particulièrement dans les grandes villes du pays, achève d’orienter l’éducation en Haïti vers un enseignement à conception élitique, et tout à fait discriminatoire. On peut alors comprendre le fait que dans le pays, au fur et à mesure se constitue cette minorité instruite dans le cadre des nouveaux privilèges.

  

Le fossé entre Haïtiens instruits et incultes, entre ceux qui possèdent, et ceux qui se trouvent démunis, se précise dans un nouveau schéma social empruntant souvent les traits du néocolonialisme ; on peut aussi comprendre qu’un courant de complexes et de préjugés oppose dès lors, ceux-là qui ont pu accéder aux « savoir et savoirs faire », à la masse moins privilégiée dont ils se démarqueront de plus en plus, au rythme croissant de la pauvreté. L’impression de deux peuples dans un seul et même pays s’infiltre dans le quotidien, en octroyant au français une fonction autre que celle de communication et de véhicule de la culture nationale tout aussi métissée, à l’instar de toute autre langue.  

  

Le français, comme il en fut du temps de la colonie dans le rapport colon- esclave, devient la chasse gardée de ceux qui, en Haïti, portent un nom « reconnu », et /ou détiennent le pouvoir politique et/ou économique. Il s’agit, de classes sociales favorisées, et de castes. Il s’agit de ceux qui, par la naissance, ne comptent pas parmi les : « n’importe qui », et de ceux qui par leur parcours économique, politique et social, ont cessé d’en faire partie.. Il n’est pas étonnant de relever que, jusqu’à fort récemment, dans les mentalités, parler français équivaut pour quelqu’un à la présomption de la possession d’une marque de supériorité sur celui qui : ne peut pas s’exprimer dans cette langue, qui la parle peu, commet des erreurs de syntaxe en parlant, ou qui ne parvient pas à articuler ; d’où, dans ce dernier cas, le surnom de « bouch si » ou plus simplement de « sirèt », qui leur est ironiquement attribué...

  

Par extrapolation, le créole est perçu, à son tour, jusqu’à fort récemment en Haïti, comme la langue des rues, celle de l’arrière-cour, des … laissés pour compte. Pour résumer, on dirait qu’il représente une espèce de langue…, un patois qu’il ne fait pas bon adopter dans les milieux élevés, aux grandes occasions, ni même dans la vie familiale au quotidien de certaines couches sociales.

  

Ce n’est alors pas la peine alors de chercher très loin, pour trouver les origines de la dévalorisation systématique du créole, liée à l’incrustation dans les esprits du complexe qui, aujourd’hui plus que jamais fait la part belle au français, par opposition au créole. Et, même quand on semble vouloir rejeter le français pour surélever le créole et l’imposer en langue unique, c’est encore mettre en comparaison ces deux canaux d’expression avec une certaine connotation, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. Et là, d’ailleurs, se situe le point à rectifier.

 

  Que le créole soit exhibé aujourd’hui, comme étant la seule et unique langue de l’Haïtien, sa langue maternelle légitime, en opposition au français condamné pour étant la langue du colon ; ou qu’il soit affublé au contraire de sa peau de chagrin, pour représenter le strict vernaculaire, il demeure évident qu’il est utilisé comme ferment du conflit masqué entre deux camps, pour ne pas dire, deux courants idéologiques différents. Bien moins nombreuse est la troisième catégorie réunissant les modérés  qui tendraient simplement vers un bilinguisme rationnel.

 

 Cette querelle exprime d’autant plus le malaise persistant, qui oriente les choix politiques, dans un sens, ou un autre, suivant les intérêts de la propagande du moment, tout en camouflant les manipulations exercées sur les masses pas du tout ou peu instruites.

  

Cette situation a joué de tout son poids dans la balance des conflits sociaux consécutifs au profond fossé creusé entre classes instruites, classes instruites et favorisées, d’un côté, et de l’autre, la grande majorité de la population haïtienne, représentée par les démunis peu instruits, et les incultes et pauvres.

  

Et, entre-temps, quelque part, entre toutes ces catégories, se baladent ces deux langues auxquelles on cherche un statut véritable, sans pour autant leur en trouver.

 

  Au cœur même des classes privilégiées instruites haïtiennes, dans l’éducation des enfants, dans la relation aux parents, c’est encore le français qui avait acquis droit de cité, souvent dans l’exclusion même du créole, avec le recours fréquent aux punitions de tous ordres. Dans les écoles congréganistes particulièrement, il n’était, par exemple, pas permis d’utiliser le créole dans la communication d’élève à élève dans l’enceinte de l’établissement scolaire. Dans bien des cas, on encourrait, de sévères sanctions qui grignotaient même sur les notes réalisées en salle de classe, dès lors qu’on s’avisait de s’exprimer en créole sur la cour de l’école.

  

   Voilà dans le même ordre d’idées, ce qui explique, en partie, la position de canal exclusif de communication tenue par le français dans l’administration, et les sphères élevées de la vie publiques à telle époque.

   Toutefois, cette époque, est bel et bien périmée, révolue, et depuis, le créole a suivi sa courbe d’évolution qui lui a rendu sa place jusque dans le curriculum de l’éducation nationale, et même aux examens officiels, à côté du français, en Haïti.

 

  Les interdits socioéconomiques qui entravaient l’évolution naturelle du créole, ont été abattus. Le créole est devenu, une langue qui se parle partout, dans tous les milieux. Il a pris sa place dans la famille, la littérature, la musique…

  

   Il faut toutefois, admettre que_ comme pour donner dans la facilité_ le français a revêtu le masque de la bête hideuse à abattre. Pourquoi se prendre la tête à l’apprendre, quand on en fait pratiquement de moins en moins usage dans les grandes avenues du pouvoir et jusque dans l’administration ?

 

  Actuellement, les horaires dans l’apprentissage du créole comptent davantage de plages, que celles attribuées au cours de français. Quel est le message qui serait ainsi véhiculé ?

 

  Le français est en voie d’être considérée comme la langue des snobs dans la communauté haïtienne à l’intérieur, comme à l’extérieur. Dans bien de manifestations culturelles haïtienne, il n’est laissé qu’une toute petite place de faveur au français, quand toutefois, on lui en accorde. On dirait même que, maintenant, il est mal perçu de prendre la parole en français dans la plupart des audiences…  

 

  Il faut convenir du fait qu’un certain lavage de cerveau a été subtilement opéré à toutes les échelles, et qui invite à adopter une position stratégique prudente, pour ne pas déplaire…Cependant peut-on décider, avec l’aveuglement analogue à celui-là qui avait barré la route au créole dans le temps, d’éliminer sournoisement, ou de façon délibérée l’usage régulier du français, du cadre de l’enseignement et de la vie haïtienne, sous prétexte de rejeter la langue du colon ?

 

  Si le créole a acquis sa place dans la vie haïtienne, cela ne saurait ni ne devrait s’effectuer au détriment du français. Au contraire ce devrait être une occasion exceptionnelle pour l’Haïtien de s’adonner à l’acquisition des deux langues en motivant la grande majorité de la population_ celle-là qui compte les incultes et les démunis_ à comprendre son histoire en ce qu’elle lui a ôté, et en ce qu’elle lui a laissé en héritage, un patrimoine, entre autres, langagier. Tel, est le français dans l’histoire d’Haïti, un véritable butin de guerre, car il fait partie de ce qui a été dûment acquis de la colonisation, dans le rapport de l’esclave au maître. Nul Haïtien, ne devrait donner dans l’embarras, ou même la honte..

 

  Agir contrairement, résulte en quelque sorte au reniement d’une facette de l’histoire du pays liée indubitablement à celle de la France, en son fondement initial, puisque la marque du colon reste et demeure dans le pays, autant que celle de l’Africain, de l’esclave, et bien plus loin, de l’indien.

 

  Le mulâtre, en effet, exprime sans le mot, une évidence historique indéniable. Il est fils du colon blanc, et fils de la négresse esclave. On ne peut lui refuser sa pleine et entière reconnaissance en droit, comme en essence. Son identité, en Haïti, comme partout ailleurs où les Français ont eu à installer le système esclavagiste, et à reconnaître paradoxalement, par le droit de cuissage, une certaine vie au sexe du bien pourtant déclaré meuble, qu’était l’esclave. Un sexe incolore sous une peau de « nègre. » C’est d’ailleurs, l’un des traits de l’incohérence même du colonialisme dans les Antilles françaises, en général.. Mulâtre, mulâtresse en Haïti ; chabin, chabine dans les Antilles françaises. Topo comparable.

 

  Il est aussi vrai que les généraux mulâtres ont lutté aux côtés des généraux noirs, dont certains auraient pu être leur frère biologique du côté maternel, pour arracher leur liberté de fait, et l’indépendance du pays à leur propre père, qu’ils ont chassé avec la même énergie que celle venant des noirs. Le « Coupe tèt, boule kay » a autant valu pour les noirs, que pour les mulâtres. Pourrait-on, sous prétexte de rompre avec l’esclavage, s’imaginer détenteur du droit de les priver de leurs pleins droits, égaux en tous points à ceux des noirs, tous citoyens haïtiens à part entière ; fils d’une terre unique, Haïti?

 

  Que de mulâtres s’abandonnent, à des fantasmes leur faisant croire à une quelconque supériorité sur les noirs ! C’est encore une déviation à re étayer ; une ineptie à rectifier.. Un préjugé dont il leur faudrait se libérer ; Une étroitesse de vue à repousser. Une liberté mentale à conquérir.  Il n’est rien qui puisse justifier le racisme, pas plus d’un côté que de l’autre, même quand il serait qualifié de racisme à rebours. Simple complaisance à l’égard de celui qui s’y prête.

 

  La créolité accueille en son sein, le peuple haïtien de toutes les couches sociales, sans distinction. C’est, sur cette plate-forme que se rencontrent, ou devraient  « se rencontrer »  indistinctement tous les Haïtiens, où qu’ils vivent. La langue est ce qui demeure commune à tout un peuple, et qui l’inscrit dans un cadre identitaire tout aussi commun.

 

  L’Haïtien, noir et mulâtre, possède deux langues distinctes, qui lui viennent, l’une de l’esclave, et l’autre  du colon. L’une de ses peines, du sort qu’il lui fut fait ; l’autre de son opiniâtreté et de sa bravoure, puisqu’elle représente, une fois de plus, son butin de guerre, au même titre que les biens meubles et immeubles de ceux qu’ils ont eu à combattre et à déposséder..

 

   Les deux  langues du patrimoine langagier haïtien incarnent, l’une autant que l’autre, la mémoire du passé colonial, qui, pour douloureuse et humiliante qu’elle puisse sembler, ne devrait nullement représenter un objet de honte ni de conspuation pour l’Haïtien. La langue française fait partie intégrante de ce passé, au même titre que la langue créole.. Que n’y pense-t-on pas avec rationalité, pour lui ouvrir les voies sur tout le territoire haïtien, à travers une stratégie d’éducation bilingue structurée, adaptée aux réalités nationales et mise à la portée de tous ?

 

  Le créole, qui est né de dialectes des esclaves noirs venant de diverses contrées et tribus d’Afrique, identifie l’Haïtien.  Le français qui est la langue du colon, est devenue par extension celle dont devait s’approprier l’esclave pour relever le défi d’inaptitude à tout ce qui a trait à l’intellect, marquer sa victoire sur son maître, et briser les tabous par la compréhension et l’acquisition de son canal de communication. De ce fait, cette langue acquise à des niveaux divers ou pas du tout, demeure en soi un héritage, qui identifie l’Haïtien, aussi bien que le créole. Il se trouve que le pourcentage d’Haïtiens aptes à s’exprimer plus ou moins en français, suit de très près celui des Haïtiens privilégiés. Plus on parle d’alphabétisation et des impératifs de l’éducation étendue aux masses incultes, plus on fustige le français, tout en instaurant le créole en langue unique dans la réalité historique du pays. N’est-ce pas une erreur que de vouloir effacer d’un revers de mains une langue qui a marqué en coexistence directe avec le créole, les 24 heures du quotidien de la Colonie de Saint-Domingue, et s’est naturellement inscrite dans le présent de la République d’Haïti ?

 

Dans la relation du maître à l’esclave, c’est bien le français qui servait autant à dicter les ordres les plus cruels, qu’à exprimer même brutalement le désir physique éprouvé par le maître, de sa négresse,… et naturellement, la satisfaction consécutive à la copulation…On en a connus, pourtant, de maîtres à s’attacher à l’esclave avec laquelle ils entretenaient des relations sexuelles. On en a autant connues de négresses esclaves pour lesquelles le contact sexuel avec le maître avait par la pratique, dépassé les limites du viol et de l’inacceptation… Un certain sentiment obscur leur en était né, et qui n’a pas fait l’objet d’analyse. Ce sentiment auquel on voudrait bien se garder d’attribuer le nom d’amour s’infiltrait souvent ça et là, dans diverses cases de l’habitation coloniale, et liait curieusement le maître blanc, à son esclave, ou l’esclave noire, à son maître. Des sortes d’alliances, ont pris consistance, là où le mépris et le fouet avaient pourtant élu domicile. Peut-on le nier, et devrait-on éliminer ce fait de l’histoire coloniale, celle d’Haïti, celle de la France, et de l’Histoire, en général, pour s’assurer d’un certain confort au niveau de l’ego?

 

  Renoncer à l’une ou à l’autre de ces langues, c’est rejeter un facteur historique important de la mémoire haïtienne. C’est, dans ces conditions, choisir de marronner, de se vouer au dilatoire, et de s’y réfugier. Tout ce qui a concouru à construire l’histoire d’un peuple, demeure un fait historique indéniable, et un élément d’explication non négligeable. On peut ne pas l’apprécier, mais il demeure, ce qu’il est, et représente, une fois de plus, un élément qui éclaire sur la mentalité et le fonctionnement de ce peuple. Car, ce n’est pas en s’amputant d’un membre sain, que l’on résout le dilemme de la perception d’un acte qu’il aurait eu à poser, et du tort causé par tel acte.. C’est en analysant lucidement les circonstances ayant motivé tel acte, et lui ayant servi de cadre, et surtout, en se prémunissant de moyens qui empêchent telle réédition, que l’on corrige la distorsion, et que l’on s’en libère.

  

   Eliminer le français de l’éducation et de la vie haïtiennes par tactique de démotivation à son apprentissage entre autres, résulterait-il à l’effacement de cette phase de l’histoire de ce pays?

 

  Et le fait colonial, ne subsisterait-il plus dans le passé d’Haïti ?

 

  L’histoire d’Haïti pas plus que celle des autres nations du monde, ne bénéficie pas du privilège de pouvoir être réécrite dans le sens des sensibilités de certains groupes, de la rancœur non liquidée de ceux qui refusent de regarder en avant, tout en s’éclairant des leçons du passé, et enfin des projets obtus  de certains clans. L’esclavage et l’holocauste représentent les crimes les plus odieux, commis contre tout un peuple par des pays occidentaux avec l’aval d’autres pays, et le silence complice d’autres nations, dans l’Histoire moderne de l’humanité. C’est un fait. Toutefois, l’Histoire passée, ne changera pas au gré des idéologies, qui s’imposent à une époque, et qui laissent la place à d’autres. L’Histoire demeure, ce qu’elle fut, au moment où elle se déroulait. Tout, en elle, se tient, pour en faire ce qu’elle est, et préparer le futur de ses peuples. Tout peuple, a pour devoir, de l’assumer, en l’investissant dans son présent, pour poursuivre son évolution avec sérénité dans le futur.

 

  Ce n’est pas en s’acharnant sur une langue ou une complexion de peau, par exemple, que l’on fait avancer un pays, que l’on développe une nation, et que l’on éduque un peuple. Posséder une langue en plus, représente un atout précieux, qui ouvre les voies à la communication, qui, elle, permet les échanges, assure l’avancement dans les rapports humains, enrichit le bagage culturel, et arase les frontières sociolinguistiques entre les nations. Ce que le pays a hérité du colon, ne se limite guère à la langue française. Cet héritage pèse lourdement dans le patrimoine culturel haïtien. De même qu’il n’est pas possible d’ignorer les traces des cultures indienne et africaine dans la culture haïtienne, il n’est pas non plus aisé de banaliser ce que le français a laissé comme apport au créole lui-même. Ce sont-là des marques indélébiles qui disent ce que fut le passé de l’Haïtien, et qui expliquent son présent, jusque dans ses réactions les plus inattendues. Pour preuve, l’expression créole « Souple », ne viendrait-elle pas de « si ou plè », qui représente la corruption de: « s’il vous plaît » Devra-t-on déclarer une véritable chasse aux sorcières à toutes ces traces, qui parlent d’un temps, et par conséquent, du passé du peuple Haïtien.

 

  Parler une langue, c’est posséder un outil précieux. Comment s’imaginer un pays qui limiterait délibérément ses possibilités, et choisirait de se renfermer sur lui-même, en privant ses citoyens de l’opportunité de s’approprier son histoire, afin de mieux se connaître, se reconnaître, se retrouver dans une identité commune, et situer par rapport aux autres peuples du monde ?

 

  En effet, plus il y aurait d’Haïtiens à pouvoir comprendre et parler le français, moins subsisteraient d’espaces aux complexes et préjugés relatifs à ce niveau de compétence, d’une part ; d’autre part, le tabou qui enrobe cette langue dans un étui élitique, disparaîtrait à la faveur de sa vulgarisation  et de la normalisation de sa situation par rapport à la langue créole, qui ne ferait plus l’objet ni d’une dévalorisation systématique ni d’une manipulation tout aussi regrettable...

  

   Le fossé est là, et qui sépare dans le pays, la minorité bilingue, ou plus ou moins bilingue, de cette grande majorité uniquement créolophone et plus ou moins illettrée, à laquelle l’opportunité de l’acquisition d’un niveau fonctionnel d’instruction et pourquoi pas, d’acquisition de cette seconde langue qui fait partie de son histoire, n’a jamais été réellement assurée. Plus il y a d’Haïtiens incultes, plus la pauvreté s’incruste dans les milieux défavorisés, et plus les problèmes sociaux engendreront d’incessants conflits. Il est vrai que le seul fait de savoir lire et écrire dans une langue par un individu, ne lui en transmet pas la compétence de l’expression courante. Encore, lui faudrait-il l’apprendre. De là, la grande nécessité de saisir l’importance de la formation des formateurs en démultiplication afin de quadriller le pays de professionnels de l’enseignement dans les deux langues. Ceci peut faire sourire ceux qui gardent une vue étriquée des possibilités du développement humain dans ce pays comme ailleurs, alors que c’est dans l’éducation, du niveau le plus bas au plus élevé, que se situe le point de départ du développement de tout peuple, et par conséquent de tout pays, quel qu’il soit. Le développement d’une nation, commence par celle de l’humain, son peuple.

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  On n’insistera jamais assez sur l’importance capitale de l’éducation dans le projet d’avancement d’un peuple. L’exigence devrait être posée du sommet à la base, afin de barrer la voie aux tentacules de la médiocrité qui impose les borgnes en rois, dans tout royaume constitué en majorité d’aveugles, et normalise l’arrogance des « bien voyants » sur ces « mal voyants ». Tel, est le schéma caricatural de la population haïtienne ; tels se comportent en grande majorité, ceux qui sont instruits et se targuent du titre d’intellectuels, face à cette masse d’ignorants que l’on maintient, mine de rien, dans une condition de naïveté favorable à la manipulation, ce qui les prédispose à suivre les mots d’ordre les plus incongrus.

 

  Une langue, quelle qu’elle soit, demeure un précieux instrument de communication, et un outil de développement appréciable. En entraver la pratique, serait accomplir un pas dans la démagogie, et l’irresponsabilité. Or, il s’agit bien d’une langue qui porte, dans une grande mesure, les marques d’identité du peuple haïtien, autant que le créole. Il est à noter, que bon nombre de ceux-là qui prônent l’exclusivité du créole au détriment du français, s’expriment assez bien, bien ou même très bien en français. Il faut aussi reconnaître que le problème du français rejoint celui du créole, à mi chemin du rejet ou de la dévalorisation de l’autre. Qu’on observe, la communauté haïtienne évoluant aux U.S.A., par exemple ; le constat qui s’impose, c’est que même dans les réunions familiales, l’anglais occupe un espace étendu, dans lequel même le créole pourtant prôné avec un semblant de conviction, ne parvient pas à tenir la rampe. D’ailleurs, les enfants de ces mêmes leaders, et les jeunes Haïtiens, en général, contrairement à ceux d’autres communautés d’immigrants, ne s’expriment pratiquement qu’en anglais, même quand leurs parents ne parviennent pas réellement à s’exprimer dans cette langue. Pour preuve que le fait identitaire est encore très loin de constituer vraiment le fond du débat créole-français.

  

   L’importance accordée à l’appropriation des langues maternelles dans le processus du développement individuel, ne semble pas interpeller les décideurs en charge, dans le domaine de l’éducation, en Haïti. Or, pourquoi, ne pas penser, encore une fois, à la démarche qui viserait au développement des deux langues dans le pays tout entier, comme il en est le cas dans la grande majorité  des anciennes colonies françaises?

 

Le français y est parlé, et dans toutes les couches sociales.

 

  Pourquoi ne pas travailler à faire tomber les barrières ridicules qui bloquent différentes strates de la population haïtienne, vis-à-vis de ces deux langues, chacune d’entre elles étant perçue à travers le prétexte au rejet, qu’on s’acharne à lui fabriquer ?

 

Cette attitude de soi-disant rejet, ne viendrait-elle pas plutôt_  même de façon inconsciente_ d’une fuite, face à l’effort que requiert son apprentissage, ou plus simplement, dans le fait de donner dans les solutions de facilité ?

 

  Pourquoi s’acharner contre le français ou s’entêter à dévaloriser le créole, alors que ce couple de langues enrichit le patrimoine culturel national, en se complétant dans l’éducation scolaire, comme dans la création littéraire et artistique ?.

 

  À elles deux, elles diversifient l’espace documentaire, rendent accessibles des données non traduites, et ouvrent l’esprit aux deux plus importantes cultures qui ont prévalu à la construction de cette république.

 

  Haïti, de par son passé colonial, se rapproche des pays africains, des Antilles françaises, de la Polynésie…etc. ; elle partage le même héritage langagier que ces places qui s’inscrivent en vrai dans la francophonie, tout en vivant en plein leur créolité. Voudrait-on insinuer que l’Haïtien soit le seul de tous les anciens colonisés par la France, qui ne puisse garder cet héritage langagier. Si on accepte de mettre toute émotion de côté, et de considérer rationnellement la situation d’isolement intellectuel vers laquelle tend de plus en plus ce pays, devrait-on se priver de l’usage d’une langue à ouverture internationale ?  

 

  L’unilinguisme est tout ce qu’il y a d’ankylosant s’il ne s’agit pas d’une langue internationale, comme l’anglais et le français par exemple. L’Américain, jadis si fermé aux autres langues jusqu’à une époque, l’a bien pourtant bien compris, et s’ouvre maintenant à l’acquisition maximale des langues étrangères par les jeunes. Doit-on acculer l’Haïtien à l’usage unique du créole 

 

  Est-ce là une option profitable au pays ? Y a-t-on seulement pensé ?

 

  C’est un « challenge » comme un autre à relever. L’objectif ne devrait pas viser un même niveau langagier pour tout le monde, puisque le créole  pas plus que toute autre langue, n’exclut pas l’évidence de registres différents, suivant le degré d’éducation de l’individu, et son exposition habituelle à un canal de communication soignée, familière ou vulgaire. L’essentiel est d’être capable de communiquer dans cette langue autant qu’en créole, d’une façon générale.

 

   L’objectif viserait de même, la possibilité pour la majorité des Haïtiens de pouvoir identifier les différents traits de sa culture, en en connaissant les origines. Ceci, est d’autant plus important, qu’il permet à l’individu de se définir à partir de ses origines et de son parcours, par conséquent, de son histoire liée à celle des siens… C’est de cette identification que l’individu apprend à se reconnaître en soi, et dans le rapport à la collectivité à laquelle il appartient. La conscience identitaire. Le lien à la langue ou aux langues qui participent à l’histoire de tout peuple, est à ce point important dans le développement individuel et dans la perception identitaire collective, que ce serait dommage d’en  banaliser les différents facteurs. Le sens de l’appartenance à une communauté, à un peuple, à une nation, et à un pays assure à l’individu un bon équilibre et une cohérence dans la perception qu’il a de lui-même, de sa place dans le groupe social, et de ses responsabilités tant personnelles que collectives. Ce ne devrait pas être, pour l’Haïtien, un luxe, que de pouvoir s’exprimer dans les deux langues témoins de la colonisation ; deux langues qui ont marqué son passé, à travers l’histoire de la colonisation qui aussi paradoxalement que cela puisse paraître, ont engendré la République, qu’est aujourd’hui Haïti.

 

   Et, si c’était possible de calmer ces conflits entre partisans acharnés du créole érigé en langue unique, et ceux qui luttent pour un réel bilinguisme étendu à toutes les couches sociales du pays, le français garderait sa place à côté du créole, et vice versa. Le pays serait le premier à bénéficier d’une réelle politique d’ouverture, qui donnerait, en outre, toute son importance à l’instruction, et à l’éducation civique.

 

  Si c’était seulement possible de penser à l’avenir d’Haïti en ce début du XXIème siècle, en prenant en compte la globalisation qui envahit toutes les sphères débouchant sur le développement de tout pays, et visant à l’évolution humaine, si c’était seulement possible, ce serait déjà un dilemme de résolu dans cette république, et certaines périodes de son histoire trouveraient résonance dans ce présent, qui en renforcerait les bases, et préparerait au futur de plus solides fondations.

 

  Mais, si seulement on ne s’acharnait pas à vouloir réécrire l’Histoire en extrapolant le contenu de l’histoire d’Haïti, et en l’orientant dans le sens des intérêts de clans, alors qu’elle est et demeure, par ce qu’elle fut. Aussi, le premier pas vers une unité dans l’expression aurait-il au moins été fait, et cela constituerait déjà, une étape importante de franchie, dans l’assainissement des mentalités en Haïti, et dans l’atteinte d’un niveau d’unité entre les Haïtiens de toutes les couches sociales du pays..

 

 

Carmelle St.Gerard-Lopez

Décembre 2009…            

 

 

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